Chapter 1 - Chapitre 1 - La Rumeur

Chapitre 1 La rumeur



Connaissez-vous le domaine des Antités ? Vous ne pouvez le connaître puisqu'il est le fruit de mon imagination. Laissez-moi vous le décrire.

À cet endroit mystérieux, le printemps est constant et est de vigueur toute l'année, c'est pourquoi les cerisiers qui s'y trouvent sont toujours en fleurs. Le gazon reste bien vert même si on aurait voulu le piétiner sans arrêt tandis que le soleil est de couleur orange. Le ciel est vert, ce qui donne la couleur verdâtre de l'eau de la rivière de forme presque parfaitement ronde, qui est située en plein milieu du domaine, entourée par une forêt de cerisiers aux feuilles roses. Cette rivière n'a pas de nom et personne n'en boit l'eau car jamais quelqu'un n'a pu l'analyser pour savoir si elle était bonne à consommer. Il pleut rarement mais les végétaux restent hydratés même si à la sortie du domaine, c'est-à-dire dans la ville, ce pourrait être la sécheresse.

Le ciel est bleu dans Yona, cette même ville, et il pleut normalement, donc un jour ou deux par semaine. Yona est à la frontière nord du jardin étrange. C'est l'océan Griseville qui entoure le reste du domaine, car aucune autre contrée ne le borde.

Le jardin est calme, presque personne n'y vient le jour et encore moins la nuit. Tout cela à cause d'une rumeur qui coure dans la ville et de toutes sortes de lumières que les habitants voient surgir du jardin quelquefois. La nuit, paraîtrait-il qu'une créature de la taille d'un chat, et qui y ressemblerait sensiblement, survolerait la rivière du domaine. La bête serait rousse et aurait de petites ailes turquoise, qui semblent être faites de long poils, tout de même assez solides pour que la bête puisse voler. L'animal aurait de grands yeux verts et perçants, mais personne n'a pu prouver son existence. On en parle de plus en plus dans le journal de Yona, L'Opinion.

À vrai dire, la ville diffère en grande partie du domaine. Ce n'est pas une grande ville urbaine car au contraire, peu de voitures y circulent. Les habitants ne sont pas très riches, ils vivent avec leurs moyens, qui sont souvent juste suffisants. Toute la zone de Yona se concentre sur environ quatre kilomètres carrés, alors les gens marchent beaucoup, font leurs épiceries et leurs achats en marchant des magasins jusqu'à leurs demeures. La plupart du temps, ce sont des appartements bien ordinaires et modestes. Les maisons sont généralement construites de bois, de ciment et de brique, ce qui ne leur donne pas une apparence très moderne. En effet, la ville ne s'est pas beaucoup agrandie avec les années. Par ailleurs, les maisons sont liées ensemble, rare sont les habitations qui soient mono familiales. Même les écoles et les bâtiments importants sont "attachés" aux résidences. Il y a trois lieux d'enseignements pour les jeunes dans toute la ville : une école qui n'accueille que des garçons, une autre que des filles et une troisième qui est mixte. Les habitants se sont souvent demandés la raison pour laquelle les dirigeants ont fait construire ces écoles ainsi. Le primaire et le secondaire sont enseignés dans ces mêmes bâtiments. Dans Yona, il n'y a pas d'études supérieures au secondaire, ce qui oblige les ambitieux à déménager. On croit que c'est pour cela que la population n'a pas tendance à augmenter dans l'endroit.

Retournons dans le domaine des Antités, loin de l'entrée. C'est au bord de la rivière où une jeune fille de treize ans, Victoria, est assise sur une balançoire attachée à une branche de cerisier, dont plusieurs lianes fleuries sont enroulées aux cordes. La jeune fille aux cheveux et aux yeux bruns pense, et rêve. Elle n'est pas venue ici depuis trois ans. Non pas à cause de la rumeur, mais pour ne pas se souvenir du passé. Elle est revenue pour essayer de l'affronter, et peut-être de s'en débarrasser.

Ici même, au domaine, l'adolescente a connu un garçon. Elle ne l'aimait pas au-delà de l'amitié; c'était son meilleur ami. Il changea subitement après avoir atteint l'âge de dix ans, peu après son anniversaire. Avant, elle et lui se voyaient tous les jours au domaine depuis qu'ils avaient cinq ans, mais cette relation s'est arrêtée quand ce garçon, Kail, cessa de venir quotidiennement au domaine pour voir sa jeune amie. C'est à cet endroit qu'ils s'étaient connus, il y a maintenant huit ans.

Depuis près d'une heure assise à cet endroit, Victoria essaie de se souvenir des beaux moments passés avec lui, mais rien ne fait. Elle ne peut que penser à la rupture. Étrangement, Kail ne se mêlait plus aux autres, il restait distant avec tout le monde et il ne lui adressait plus la parole, pas plus qu'aux autres. Il ne parlait que quand il était obligé de répondre, comme pour donner une réponse en classe. À part de ça, il demeurait dans son coin, les bras croisés.

Une silhouette apparaît à côté de Victoria, ce qui la sort de ses pensées. Elle regarde à sa droite, étonnée de savoir qu'elle n'est pas la seule dans le domaine. Puisque la rumeur s'est amplifiée, il est encore plus rare de voir quelqu'un dans cet endroit. En s'approchant, la silhouette laisse apparaître un garçon blond aux yeux bleus. Ses cheveux ont beaucoup de volume et il a l'air plutôt décontracté point de vue vêtements et attitude.

Le garçon s'arrête un moment en voyant l'adolescente, pour continuer sa route vers elle quelques secondes après. La jeune fille remarque l'imperturbable sourire de celui-ci. Il s'arrête devant elle, lui tend la main pour se présenter.

- Salut ! Moi c'est Max, dit-il, toujours avec le sourire.

- ... Victoria.

À première impression, Max lui semble sympathique.

- Tu ne me reconnais peut-être pas, ça fait longtemps, continue-t-il. Je venais quelquefois ici et tu étais toujours là. Ça doit faire un bon moment que tu n'es pas venue.

L'adolescente baisse les yeux et reste silencieuse. Max fait fondre son sourire un instant. Il voit qu'elle est troublée. Il reprend vite son air souriant continuel.

- Tu viens manger une glace avec moi ? demande-t-il.

Elle lève rapidement les yeux sur Max, qui se reprend sur ce qu'il vient de lui dire.

- Non ! Non ! Ne crois pas n'importe quoi ! C'est sans intention, je t'assure !

- D'accord...

C'est avec hésitation qu'elle décide de quitter le domaine avec Max. Elle et lui passent plusieurs heures à parler de tout et de rien à la crémerie, qui n'est pas très bondée pour la chaleur qu'il fait à l'extérieur aujourd'hui. Ils apprennent à se connaître et se quittent vers dix-sept heures, temps de la journée où le soleil commence à se coucher. Victoria retourne chez elle, ayant oublié ses soucis.

Rendue chez elle, celle-ci va dans sa chambre et s'étend sur son lit. Comme une grande partie des adolescents de son âge, sa chambre est en désordre et son père n'insiste pas pour qu'elle la nettoie. Le pire, c'est qu'elle pas beaucoup d'objets à elle et la pièce est minuscule, comme l'appartement où elle vit avec son père.

J'aurais pu vous dire "ses parents" au lieu de "son père", mais je ne peux le faire car sa mère a déserté la maison quand Victoria n'avait que sept ans. Sa mère, Sophie-Anne, est partie sans en dire la raison. Ça n'a pas beaucoup affecté sa fille car en fait, elle ne la connaissait pas vraiment même si elle était sa mère. Sophie-Anne était toujours partie travailler à quelque part ou un autre pour essayer de faire un peu d'argent, puisque leur famille a toujours eu un peu de misère à payer le loyer.

Étendue sur son lit, Victoria repense à sa journée. Aurait-elle pu espérer quelque chose de mieux qui aurait pu se passer au domaine ? Si... Que ce soit Kail cette silhouette qui est apparue et qui perturba ses pensées. Tout de même, elle n'était pas déçue du déroulement de sa journée.

Néanmoins, Victoria ne peut cesser de penser à son vieil ami. Elle revoyait toujours ses cheveux châtains, ses yeux bruns, et son visage bien tracé. Côté grandeur, il l'avait toujours dépassée de presque un décimètre. Il ne portait jamais quelque chose qui montrait ses jambes où ses bras à part les moments où il allait se baigner.

La jeune fille se lève d'un bond de son lit et se dirige vers la porte de son placard, qui est aussi graffignée que le divan du salon à cause du chat de l'ancien propriétaire de l'appartement. Ce dernier a peint tous les murs en blanc et personne ne les a repeint depuis. Victoria déplace quelques objets devant la porte pour arriver à l'ouvrir. Elle prend plusieurs livres empilés au fond du placard pour les jeter derrière elle. Elle garde un livre en main : c'est un journal personnel qui date de plusieurs années. De six ans avant plus exactement, quand la jeune fille d'aujourd'hui avait sept ans.

Elle retourne s'asseoir sur son lit puis elle ouvre le journal à une page au hasard. Mais avant de commencer sa lecture, elle se demande pourquoi elle veut se relire. D'abord, elle ne cherche rien en particulier... Mais quand elle y repense, ça pourrait peut-être lui permettre de déceler des choses sur Kail qui ont pu lui échapper avec les années. Elle ouvre son livre vert à une page au hasard.

5 mars 1997

Ma mère est partie sans dire au revoir ce matin et elle a tout emmené ses affaires avec elle.

Victoria ne supporte pas sa lecture et ouvre son journal sur une autre page au hasard.

19 septembre 1997

J'ai encore passé toute la journée avec Kail. Nous avons passé une partie de la journée au domaine. À environ deux heures de l'après-midi, nous sommes allés dans la cour de l'école du milieu (c'est l'école mixte) car il y avait un match de soccer amical entre les jeunes. Kail faisait partie d'une équipe avec plusieurs de ses copains : Terek, Joël, May et je ne sais plus trop qui. Ce je ne sais plus trop qui, Kail l'appelait Maxou, mais je crois en fait que c'était le surnom qu'il lui donnait. Il avait vraiment l'air de bien s'entendre avec lui. On aurait cru deux frères !

En voyant le nom de « Maxou » dans le journal, Victoria se demande si ce peut être Max, celui qu'elle a rencontré au domaine tout à l'heure. Ce serait plausible, puisque ce dernier dit l'avoir vue plusieurs fois quand ils étaient jeunes. Pourtant, il ne venait jamais parler à Kail quand elle était avec lui, il devait y avoir quelque chose qui clochait. Néanmoins, elle demandera au garçon qu'elle a rencontré si c'est bien le Maxou ami de Kail. Seulement si elle le rencontre à nouveau, car Victoria croie que c'est un tout à fait hasard s'il est venu au domaine des Antités à ce moment-là.

La jeune fille jette un coup d'oeil par la fenêtre. Il fait déjà un peu sombre à l'extérieur et une fine pluie tombe. Le décor est vraiment déprimant. Que des maisons à l'horizon, aucun arbre ni aucune plante. Victoria retourne à son occupation première et ouvre son journal à une autre page en oubliant la température à l'extérieur.

3 février 1998

Aujourd'hui c'était ma fête. Mais mon père devait aller travailler alors j'ai passé une fois de plus toute la journée avec Kail au domaine des Antités. Mais ça ne me déplaît pas, même si j'étais déçue que mon père soit absent pour aller travailler. J'ai eu huit ans, et ce sera le tour de Kail dans environ trois mois.

Le père de Victoria l'appelle pour souper. L'appartement dans lequel elle vit avec son père, Xavier, est tellement petit qu'il n'a pas besoin de parler fort pour appeler sa fille. Elle s'assoit à la table de la cuisine, ronde et blanche. D'ailleurs, toute la cuisine et la salle à manger sont blanches. Pendant le repas, l'adolescente et son père ne se parlent pas. De toute manière, ils n'ont rien à se dire, comme toujours, même s'ils ne sont qu'ensemble que pour le souper durant la semaine. Heureusement, ils ne sont pas en dispute.

Après le souper, Victoria retourne immédiatement dans sa chambre mais puisque c'est un vrai désordre, dès qu'elle eut fermé la porte, elle trébuche sur un objet plutôt gros. Elle se retourne pour voir sur quoi elle a trébuché pour pouvoir le ramasser et ne pas refaire la même chute une seconde fois. En regardant bien, elle voit une sorte de peluche étrange qui se réveille.

L'adolescente est effrayée et pousse un cri. Au même moment, la créature de la forme d'un chat aux couleurs vives disparaît rapidement sans avoir bougé.

- Victoria ! Est-ce que ça va ? dit Xavier qui ouvrit la porte et en tient toujours fermement la poignée.

- Oui, oui, ce n'est rien...

Xavier referme la porte derrière lui en laissant sa fille perplexe autant que lui-même. Victoria se demandait si ce n'était pas seulement des hallucinations venant de son esprit. Elle s'assoit sur son lit et reprend son journal. Elle relit et relit encore le nom de « Maxou », dont elle est intriguée depuis tout à l'heure.

Après une heure, la jeune fille en a assez de ne rien faire et selon elle, il est bien trop tôt pour aller se coucher, alors elle se rend au domaine des Antités pour espérer la visite de Max, à qui elle s'est attachée plutôt rapidement et facilement. Elle arrive à la balançoire après une bonne séance de marche. Elle s'assoit dessus et fixe ses pieds pendant un moment. Il n'y a personne d'autre dans le domaine. Du moins, dans cette partie de la forêt car Victoria ne peut voir partout autour d'elle.

Après quelques instants, l'adolescente semble apercevoir quelque chose de brillant sur la rivière. C'est une sorte de chat ailé dont plein de flocons lumineux de couleurs pastel le suit derrière. Victoria croit encore avoir des visions vu l'incident de tout à l'heure. Plus elle y repense, plus elle semble voir l'image de la créature qu'il y avait dans sa chambre. Elle ressemble également à la bête de la rumeur.

Un bruit de pas se fait entendre dans la direction de la sortie du domaine et la créature étrange disparaît au même moment de la même manière que tout à l'heure. Victoria se retourne pour voir ce que c'est. Elle sent de la crainte à l'intérieur d'elle-même un instant mais elle arrête toute peur quand elle reconnaît celui qui s'amène. C'est plutôt l'étonnement qui l'envahie, car c'est Kail qui vient, après tant de temps d'absence.

Celui-ci s'arrête devant l'adolescente et croise les bras. Il la fixe pensant un court instant et lui dit sèchement :

- Je ne suis pas venu pour toi.

Alors le jeune homme détourne son regard et marche vers la rivière pour s'asseoir sur le gazon près du rivage. Victoria le regarde, se demandant si elle ne doit pas aller ouvrir la conversation.

Depuis trois années, il n'avait pas beaucoup changé côté apparence à part du fait qu'il est plus grand et nettement plus bâti. Victoria se demande pourquoi il a décidé de rester si distant avec elle; Elle n'avait rien fait de mal. Enfin... elle ne croyait pas. En même temps, elle commence à se demander comment tout peut arriver en un jour. Après tout, elle n'est venue qu'au domaine une fois en trois ans : elle y a rencontré Max, et maintenant Kail.

Elle finit par décider de son geste et elle se lève pour rejoindre Kail sur le bord de l'eau. Il ne se retourne pas vers elle en la voyant s'asseoir à côté de lui, puis un long silence suit. Tout ce qu'on entend, c'est le vent qui souffle dans les fleurs des cerisiers. Kail défronce les sourcils après un certain temps et lève la tête.

- Tout ça c'est contre mon gré, dit-il. Tu ne dois pas m'en vouloir, mais je dois partir, probablement pas pour de bon, mais n'espère pas me revoir de si tôt à moins que je n'aie quelque chose d'important à te dire. J'étais venu ici pour réfléchir ce soir, mais je crois que je vais reporter ça à une autre fois...

Il regarde Victoria quelques secondes avant de se lever et de partir tranquillement. Celle-ci croit maintenant que le cas de Kail est désespéré et que rien ne pourra le changer. Néanmoins, elle demeure encore un bon moment sur le bord de la rivière à la suite du départ de son vieil ami d'enfance. Après un bout de temps, elle voit de nouveau la créature sur l'eau en oubliant Kail pour un instant.

Victoria se sent troublée car elle ne sait pas quoi penser de ce qu'elle voit, si elle aperçoit vraiment quelque chose. Elle baisse la tête et la remonter quelques secondes après et voit toujours la créature. Elle prend le temps de regarder l'étrange bête un peu plus attentivement. De grands yeux verts, une longue et fine queue se terminant en tire-bouchon et de petites ailes turquoise. La créature est de couleur oranger, exactement comme dans la rumeur.

Dès que Victoria eut vu la dernière particularité de la créature, celle-ci s'enfonce dans l'eau brusquement. Un cercle de lumière reste au-dessus de la rivière et bouge lentement de gauche à droite, représentant possiblement le trajet de la bête rendue sous l'eau maintenant. Tellement étonnée de ce qu'elle voit, la jeune fille reste figée. Soudain, elle est prise d'un grand coup de sommeil incontrôlable puis elle s'étend sur le gazon pour s'endormir peu après.

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